Et, chose merveilleuse,
car ce pays est tout plein de miracles, avant d'être une
baie, c'était une forêt sauvage !
Une
forêt qui n'arrêtait pas sa lisière à
la ligne du rivage actuel, mais qui descendait la grève
et plantait ses chênes géants jusque par delà
les îles Chaussey.
La
tradition et les antiquaires sont d'accord; les manuscrits
font foi : la forêt de Scissy
couvrait dix lieues de mer, reliant la falaise de Cancale, en
Bretagne, à la pointe normande de Carolles,
par un arc de cercle qui englobait le petit archipel.
Quelque
jour, on fera peut-être l'histoire de ces prodigieuses batailles
où la mer, tour à tour victorieuse et vaincue, envahit
le domaine terrestre en conquérant, puis se dérobe,
fugitive, et se creuse dans les mystères de l'abîme
une retraite plus profonde.
Au
soleil, la digue fuit devant le voyageur, selon une ligne courbe
qui attaque la terre ferme au village du Vivier.
Pour
quiconque est étranger à la mer, cette digue semble
ou superflue, ou impuissante. Le bas de l'eau est si loin et les
marées sont si hautes ! Peut-on se figurer que cette barre
bleuâtre qui ferme l'horizon va s'enfler, glisser sur le
sable marneux, franchir des lieues et venir !
Venir
de si loin, la mer ! pour s'arrêter, docile, devant quelques
pierres amoncelées et clapoter au pied de la chaussée
comme la bourgeoise naïade d'un étang !
Involontairement
on se dit : Si la marée fait une fois ce grand voyage du
bas de l'eau à la digue, que seront quatre ou cinq pieds
de sable et de roche pour arrêter son élan?
Mais
la mer vient choquer les roches de la digue, et la digue reste
debout depuis des siècles, protégeant toute une
contrée conquise sur l'Océan.
Vers
le centre de la courbe on aperçoit au lointain, comme dans
un mirage, le Mont-Saint-Michel et Tombelène. Huit lieues
de grève sont entre ce point de la digue et le Mont.
De
ce lieu, qui s'élève à peine de quelques
mètres au-dessus du niveau de la mer, l'horizon est large
comme au faîte des plus hautes montagnes.